Benjamin Locoge - Paris Match
Paris Match. Pourquoi accorder une interview ? Vous avez la réputation de ne jamais parler...
Prince. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais j’ai un album à vendre ! Je suis venu à Paris pour suivre la Fashion Week et aussi pour faire un peu de promotion. Si les choses se passent bien – ce qui semble être le cas – je me lancerai dans une tournée française. C’est une idée qui traîne depuis un certain temps. Mais, bon, rien n’est décidé pour l’instant.
Plutôt que de parler, en général, vous préférez donner des concerts.
Il y a une bonne raison à cela : je joue la musique que j’ai envie d’entendre. Franchement, que peut-on écouter aujourd’hui ? Rien ! Il ne se passe rien d’excitant. Quand on me dit que l’électronique c’est l’avenir, je préfère en rire.
Pouvez-vous me citer une chanson connue enregistrée par un artiste venu de cette scène ?
Non, car c’est impossible. Alors on revient toujours vers moi, un musicien humain et sincère.
Existe-t-il des artistes qui trouvent grâce à vos yeux ?
Aucun ! J’aime un groupe de rock, c’est celui de la fille de Lenny Kravitz ! Et si je dis cela, c’est pour faire plaisir au père ! Chez moi, à Minneapolis, il y a quelques clubs fréquentables. Et encore... Allez faire un tour à Los Angeles, vous comprendrez : il ne se passe plus rien. En réalité, les seuls musiciens que j’aime sont les miens ! Ils s’adaptent à toutes les situations.
Sur scène, vous êtes le patron ?
Absolument. J’ai un canevas précis et selon l’ambiance de la salle, selon l’attitude des gens, le concert évolue. Je lance des injonctions aux musiciens, qui embrayent aussi vite. Pour faire vivre un concert, il faut innover, casser les rythmes et les temps, changer sans cesse. Sinon, je m’ennuierais...
Aimez-vous interpréter vos anciens tubes ?
C’est un immense bonheur de les jouer. Contrairement à ce que l’on dit souvent, je tiens compte du public. Il ne connaît pas encore mon dernier disque, je n’allais pas lui infliger une série de chansons nouvelles ! Et pour être honnête, je ne les ai pas assez répétées. Je m’amuse tellement avec des titres comme “Kiss” ou “Purple Rain”. Je branche une pédale wah-wah et cela m’emmène très loin. Dans ces moments-là, je suis possédé !
On vous a vu à la Fashion Week, que représente la mode pour vous ?
Une douleur ! Vu ma taille, je n’ai jamais pu trouver de vêtements qui me convenaient. Je suis très “petite” [en français]. J’ai une équipe chez moi qui crée mes tenues. Je ne veux pas être habillé comme tous les autres hommes, car je
suis différent. Je ne veux ressembler à personne.
Avec vos accoutrements, vous ne passez jamais inaperçu...
Mais je ne souhaite pas passer inaperçu ! Au contraire ! Je souhaite être reconnu dans la rue. C’est pour cela que je fais ce métier. Et quand les gens m’abordent, c’est toujours pour me donner de l’amour ! Vous ne pouvez pas imaginer combien cela me touche.
On vous imagine pourtant froid...
J’ai le sentiment d’avoir tout réussi. Je suis heureux de tout ce qui m’est arrivé et de tout ce qui m’arrive encore aujourd’hui. Et je sais que je dois aussi cela à Jéhovah. Enfin, à Dieu, appelez-le comme vous voulez...
La foi est souvent peu compatible avec la musique.
C’est votre opinion. Dieu m’apporte quotidiennement des choses. La musique est un cadeau de Dieu. Et je suis sur terre pour partager ce don, de la meilleure manière possible. Tant que je serai vivant, je continuerai à le partager !
Depuis dix ans, vous avez quand même une carrière en demi-teinte.
Cela dépend de la manière dont vous la voyez. Je vais vous donner un exemple : dans les années 70, George Clinton avait cinq groupes, cinq formations différentes, avec lesquelles il jouait selon ses humeurs. Il avait Funkadelic, Parliament ou encore Maceo Parker, Bootsy Collins... Que des grandes pointures. On ne se demandait jamais si ça marchait plus ou moins bien pour lui. Eh bien, c’est ce que j’ai toujours essayé de faire : changer de groupe, changer de formule pour ne pas me répéter. Je remarque que les gens viennent toujours à moi.
A Paris, c’était la folie pour obtenir des places ? Non ? Où en êtes-vous avec les maisons de disques ?
Internet m’a apporté une grande liberté. C’est d’ailleurs ce que je conseille à tous les artistes : soyez intelligent, éliminez les intermédiaires. Dans les années 70 et 80, Warner s’est fait énormément d’argent grâce à mes disques. Et moi rien ! Enfin, pas rien, peu... La crise que subit le monde du disque aujourd’hui est la suite logique de cette attitude ingrate. A l’époque, on ne faisait pas de mathématiques avec la musique...
Et aujourd’hui ?
Je négocie mes contrats de distribution, pays par pays. Aux Etats-Unis, mon dernier album n’était en vente que dans les magasins Target. C’était une étape en moins dans la chaîne de distribution. Et cela s’est révélé très lucratif ! En France, j’ai signé le même genre de deal avec Because. Le label a été capable de mettre l’album dans les bacs. C’est déjà un exploit en soi ! Je les en remercie. Et cela m’ouvre des portes en Allemagne, en Italie, en Asie... Si les gens n’achètent plus de disques, c’est aussi parce qu’il est de plus en plus difficile d’en trouver !
N’est-ce pas aussi un problème de qualité discographique ? Vous publiez énormément. On peut s’y perdre.
Vous croyez ? Il n’y a plus de barrières, plus de limites aujourd’hui quand on est musicien. J’ai aussi des fans insatiables qui veulent tout écouter, tout connaître. Ils me poussent à produire autant ! Et comme je n’ai jamais eu de problèmes d’inspiration, c’est un bonheur permanent...
Comment composez-vous ?
Tout est dans ma tête, ça fourmille en permanence. Mais je ne passe pas ma vie en studio non plus. Quand je suis prêt, je convoque les musiciens pendant deux semaines et nous enregistrons ce qui sort de mon cerveau.
Le résultat est-il conforme à vos attentes ?
La plupart du temps ! En deux ou trois jours, j’enregistre un album entier. C’est pour cela que j’ai des milliers d’inédits. Je dois avoir écrit plus de 10 000 chansons.
Comment savez-vous qu’une chanson est bonne ?
J’en parlais récemment avec mon ami Michael Stipe, le chanteur de R.E.M. Lui, quand il a besoin d’un prompteur pour se rappeler un texte, c’est que le titre est mauvais. Je suis assez d’accord avec cette vision.
Connaissez-vous les textes de vos 10 000 chansons ?
Ah non ! Je dois en connaître quelques centaines. Et encore...
Ecoutez-vous de la musique chez vous ?
Non, car j’en fais.
Ecrivez-vous ?
Non plus ! Une fois encore, tout est dans ma tête !
Dans les années 80, on vous opposait souvent à Madonna et Michael Jackson. Aujourd’hui vous sentez-vous seul ?
Je ne me suis jamais senti en compétition avec qui que ce soit. Je suis unique, et j’entends le rester. La compétition c’est pour les autres.
Quelle vie avez-vous au quotidien ?
C’est une question intime ! Je vais vous expliquer pourquoi je ne dors presque pas. J’ai le sentiment de vivre dans un rêve éveillé. Tout ce qui se passe au quotidien, c’est tout ce dont j’ai toujours rêvé quand j’étais enfant. J’ai peur de dormir, parce que je crains que tout cela s’arrête.
Avez-vous dormi la nuit dernière ?
Non ! J’étais sur scène le soir, cela me procure une telle adrénaline, une telle énergie que je ne veux pas quitter cet état second.
Avez-vous une existence rock’n’roll ?
C’est trop privé comme question, je ne peux pas vous répondre.
Que pensez-vous de la scène hip-hop qui se revendique souvent de vous ?
Rien ! Dans les années 80, écrire un texte avec des éléments pornographiques était une vraie provocation. Parler de sexe était aussi un sujet tabou. Et j’ai été le premier à le faire. Aujourd’hui, le moindre rappeur glisse une insulte dans sa chanson et croit avoir trouvé le Graal. Il n’y a pas de comparaison possible. Vous ne pouvez qu’être d’accord avec moi...
Existe-t-il un guitariste qui trouve grâce à vos yeux ?
On me parle parfois de Jack White, mais il est un piètre guitariste à côté de moi ! Je suis tout simplement le meilleur
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