CR promis, CR dû !
Voici donc ma prose du concert de Thomas Dutronc à la Bourse du Travail de Lyon, ce vendredi 11 décembre.
[large]Thomas Dutronc à Lyon : La Bourse ET la vie ![/large]
Comment rester de bois face à Thomas Dutronc, VRP de luxe des pommes de terre, quand il débite des stères entières de notes sur scène ? Vendredi 11 décembre, le prodigieux “gratouilleur” de cordes a enflammé la Bourse du Travail de Lyon, puisant dans les racines du jazz à la sauce Django Reinhardt pour livrer un spectacle aux multiples essences : beaucoup d’humour, un zeste de nostalgie et surtout un sens aiguisé de la performance musicale. Du grand art, de quoi rester scié. L’île de Beauté a un nouvel ambassadeur dont chaque salle de concert sera le Panthéon…[large][/large]
Jamais deux sans trois dans la famille Dutronc. Après le père, Jacques, provocateur coquin en son temps, puis Françoise, la maman, icône sex symbol des années 1960, voici le fils, Thomas, 26 ans à peine, qui incarne la synthèse de ses glorieux parents. Beau gosse aux yeux bleus, volontiers à l’opposé des discours actuels trop consensuels pour être honnêtes – notamment en matière d’alimentation… (“ni Dieu, ni Maître, mais des frites, bordel !”)-, Thomas Dutronc a également de l’or entre les doigts quand il écrit puis joue de la guitare. Le gen(d)re idéal qui énerverait presque… s’il ne nous donnait pas tant de plaisir quand on le voit à l’oeuvre sur scène !
Le show abattu le vendredi 11 décembre à la Bourse du Travail de Lyon en a encore fourni la preuve. Devant une salle multi-générationnelle, Dutronc “Junior” et ses quatre acolytes de premier choix ont fait chavirer le public de bonheur durant plus de deux heures.
Ce n’est plus un scoop : le jazz manouche de Django Reinhardt coule dans les veines de Thomas Dutronc comme la sève précieuse pour n’importe quel arbre du maquis corse. À quelques mois du centenaire de la naissance du maître en la matière, l’hommage est partout, jusque dans la projection d’images sur un écran, pardon une simple toile blanche. Ici, on a affaire à des artisans musiciens, qui font beaucoup avec peu de moyens (en apparence) ; et qui joueraient sans doute jusqu’à l’aube, s’ils n’avaient pas un autre concert à assurer le lendemain à Bar-le-Duc, Porto-Vecchio ou Marciac…
Bref, les spectateurs venus pour apprécier en “live” les fabuleuses chansons de l’album de Thomas ont été servis au-delà de leurs espérances. “Comme un manouche sans guitare”, “Les frites, bordel !”, “Viens dans mon île”, etc. Elles sont toutes là et quel plaisir d’entendre (et de voir) les arrangements/adaptations par rapport à la version studio. Certes, le duo des “Solitaires” n’est pas assuré en compagnie de la charmante Marie Modiano à la voix si suave, mais par… Bertrand, l’un des deux guitaristes. Peu importe, l’émotion passe sans problème… À tout cela, je dis aime ;-)
Mise en scène efficace… et drôle
Et pour allumer les mèches de ses chansons, Thomas ne joue pas au bûcheron. Au contraire, il a recours à des astuces efficaces de mise en scène : petite camera braquée sur le public féminin pour introduire “J’les veux toutes” tout en racontant comment a curieusement changé l’un de ses musiciens depuis peu en couple. Hilarité générale ! Comment ne pas évoquer non plus les allusions à sa terre d’adoption, la Corse, dont il livre un savoureux portrait en creux à travers son autre guitariste, Jérôme Chiosi, “artiste insulaire en exil contraint de travailler sur le continent pour subvenir aux besoins de sa famille”. Pas peu fier de vanter l’île de Beauté, l’artiste aux cheveux bruns gominés fait preuve lui aussi d’un humour inattendu. Un passage à mourir de rire que je vous recommande ; je n’en dis pas plus pour ménager l’effet de surprise…
Un VRP de la patate aux coups de griffes ravageurs
À l’heure où les légumes cuits à la vapeur et le pâté végétal bio dictent leur régime à certain(e)s de nos cons-patriotes, Thomas Dutronc, lui, se fait l’apôtre “des frites bien grasses et du bon gros steak” pour leur vertu anti-morosité. Que dis-je l’apôtre, le candidat aux élections présidentielles ! Et voilà notre jeune chanteur se moquer gentiment, mais avec finesse et brio, de la classe politique et de ses vaines promesses, genre “si je suis élu, je vous promets que vous pourrez manger 1 kg de rillettes par jour sans grossir. Votez pour moi !”. Énorme ! Toute ressemblance avec qui vous savez ne serait que pure coïncidence, etc, etc.
Enfin, Thomas Dutronc ne vit pas dans sa tour d’ivoire, pavoisée de disques d’or avec vue imprenable sur la plage de sable blanc. Il sait dans quel monde absurde et parfois cruel nous autres, spectateurs lambdas, (sur)vivons. Son sketch évoquant la conversation entre deux capitalistes témoignent de son sens de l’observation et des travers de notre société. L’un a fait des bénéfices – comprendre il a licencié du personnel (“c’est ballot, hein ?”) ; l’autre est ruiné et s’apprête donc à dire adieu au monde des “winners”. Deux nazes, d’ac’ !
Quand la musique est bonne…
Et la musique dans tout ça, me direz-vous ? Elle fut bel et bien au rendez-vous. Entre le jazz manouche et des medleys, pardon des “pots-pourris”, reprenant des standards d’autres genres musicaux, le groupe a montré l’ampleur de son repertoire et de sa créativité. Ce n’est pas en effet donné à tout le monde de réussir à adapter “Billie Jean”, “Alexandrie Alexandra”, la Compagnie Créole, les Village People ou encore les Rolling Stones avec une guitare sèche et un violon. Et bien, Thomas et ses compagnons de route l’ont fait ! Chapeau bas devant tant de maîtrise…
Et comme nous avions déjà tous le nez dans les étoiles, l’instrumental de la “Belle étoile” de –M- s’imposait. Pure magie du spectacle vivant…
… et les musiciens aussi !
C’est donc maintenant le moment de dire un mot sur les formidables musiciens aux côtés de Thomas. Chacun a connu plus d’une fois le privilège d’être mis en avant : tel guitariste “exécute” un contre-point de Bach écouté dans un silence quasi religieux (suivi d’un triomphe digne d’un empereur romain), tandis que le violoniste enchaîne les envolées virtuoses (et même quelques pas de danse simultanés) ou que le batteur produit un solo décoiffant. Autant de standing ovation méritées à la clé…
Il y aurait bien d’autres choses à évoquer sur ce concert. Exemples : la formidable complicité avec le public – et ce malgré une distance à mes yeux trop grande entre les musiciens et les premiers fauteuils -, les moments teintés de nostalgie lorsque Thomas lit de vieilles cartes postales, la séance de cri primal, plutôt salvatrice après sa semaine au boulot, etc.
Et s’il ne fallait parler que d’une chanson, ce serait “Jeune, je ne savais rien”. De l’intro à la dernière note, voilà un véritable bijoux capable de vous filer des frissons dans l’épine dorsale jusqu’au bout de la nuit. Une chanson à l’image du répertoire de Thomas Dutronc, à la fois subtil et généreux dans l’effort. Quel performer avec une guitare dans les mains ! Ses doigts courent sur les cordes à la vitesse d’Ussein Bolt… Tout sauf un “manche”, quoi…
Françoise Hardy et Jacques Dutronc peuvent continuer à analyser les astres et fumer des cigares en toute quiétude : la relève artistique est déjà assurée au sein de la famille. Jamais deux sans trois…
Après, dans l’ordre, Thomas Fersen, Lenny Kravitz (deux fois), Mathieu Chédid et Sansévérino, cette année 2009 s’achève par conséquent sur une nouvelle bonne note musicale. Vivement 2010 !